Drôle de parc pour une rencontre … par Eric Finance

Sous la douche, ce matin, Monsieur Lécrivin essayait, une fois de plus, de rassembler les morceaux du puzzle des souvenirs immédiats, de ce rêve matinal dont il aurait aimé tirer une quelconque analyse, voire même une quelconque compréhension, si et seulement si il avait pu en retenir une bribe !
Et, comme d’habitude, plus il se concentrait plus le rêve s’évaporait. Il pensa alors à cette phrase de cet écrivain, Didier van Cauwelaert, qui disait : – le problème avec les rêves c’est que, parfois, ils se réalisent !
– Ah bon ! Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire un truc pareil ?
Monsieur Lécrivin se dit alors ; – Ouais, comme quoi les ‘Goncourt’ peuvent aussi écrire des conneries ! Et puis les belges sont très très forts en vélos, en bd, en histoires drôles, en frites et en bières, pour la littérature je ne sais pas.
Voilà, ça allait mieux ! Rien ne vaut une bonne petite médisance de bon matin ! Et puis Cauwelaert est né à Nice, comme l’omelette, on ne va pas chercher à savoir d’où viennent les œufs, bien que certains aujourd’hui seraient sur une tendance à vouloir purifier la race .
Il était presque huit heures lorsque Monsieur Lécrivin sorti enfin de chez lui pour promener son superbe Barzoï imaginaire. Ben oui, c’était commode de promener un chien au parc pour rencontrer des gens, et puis c’était plus économique et également moins salissant qu’il ne fut point réel.
J’adore me balader dans ce parc et puis tout autour du quartier, se disait Monsieur Lécrivin, et puis je trouve ça drôle de dire à mes voisins que je promène mon chien !
Sans doute l’idée lui était-elle venue le jour où, sur une allée du parc Sainte Marie, il avait croisé Pauline.
Elle promenait un Dalmatien, une femelle, très fine et très fragile.
Il s’était approché d’elle et faisait semblant de tenir une laisse, il lui avait dit bonjour, elle avait souri.
– Bonjour Madame, comment s’appelle votre chienne, elle est superbe ?
– Elle s’appelle Blanche et vous, comment s’appelle votre chien, car je suppose qu’il s’agit bien d’un chien n’est-ce pas ?
– Ah lui, c’est un Barzoï, il s’appelle François-Marie Arouet.
Monsieur Lécrivin regardait la jolie dame avec un sourire doux et il vit tout de suite que la situation semblait l’amuser.
– Comment vous appelez-vous Madame, si je puis me permettre ?
– Appelez-moi Pauline, et vous ?
– Moi c’est Lécrivin, oui, Lécrivin c’est mon nom.
– Ah c’est intéressant ! Et vous avez un prénom peut-être ?
– Sans doute, mais je l’ai oublié, ou peut-être perdu, c’est ça je l’ai perdu très tôt ce matin dans un rêve.
– Oh comme c’est étrange, moi cette nuit j’ai rêvé que je faisais la connaissance d’un écrivain au cours d’un vernissage d’un ami peintre, un bonhomme très original qui était venu dans la galerie avec son chien, un Barzoï !
– Ah mais ça alors, c’est fou, j’adore cette histoire Pauline, et comment s’appelait le chien !?
– Il s’appelait Voltaire.
Ça y est, bon sang de bois se dit Monsieur Lécrivin, il se souvenait soudain de son rêve ; il allait à la SPA pour adopter un chien, il en trouvait un superbe, un Barzoï. La responsable du refuge le confortait dans son choix, elle lui disait que ce chien correspondait tout à fait à son attente, et que lui aussi allait parfaitement convenir au chien, ils allaient faire un couple idéal, le maître et le chien en parfaite harmonie … Alors il était heureux, son visage s’illumina et il demanda à la responsable quel était le nom du chien, pour ne pas perturber l’animal , pensait-il, il devrait conserver son nom, n’est-ce pas !?
En effet, bien entendu, elle lui avait dit le nom …
Mais ce matin, avec ce rêve perdu, lui qui perdait souvent des choses et même son propre prénom, il ne savait plus où et quand, ce matin donc il n’arrivait plus à se souvenir du nom du chien. Quelle poisse ! Ah mais c’est pas possible ça … voyons fais un effort bon sang mon bonhomme ! Ah, oui, c’est ça ; Zadig, … ou bien Micromégas !?
– Merci Pauline, Voltaire, voilà c’est bien ça, je vais le noter tout de suite sur mon petit carnet, en espérant que je ne perde pas ce précieux aide-mémoire !
– Et vous faites quoi dans la vie Monsieur Lécrivain, à part promener Voltaire ?
– Et bien, … euh, je n’en sais rien finalement, je ne m’étais pas posé la question pour être franc.
– Ah ah, j’adore ! Écoutez Monsieur Lécrivain, vous m’êtes sympathique et je promène Blanche chaque matin à la même heure dans ce parc, alors si vous le voulez bien, n’hésitez pas à me demander demain, puis les autres jours, comment s’appelle votre chien ou bien toute autre chose qui vous passe par la tête, ok ?
– Ah merci, vous êtes charmante, j’accepte volontiers votre proposition. Bon, et bien je vous dis à demain Pauline, il faut que je rentre Candide vous savez…
Pauline se mit à rire, mais sans se moquer.
– Vous êtes très original Monsieur Lécrivain, je sens que nos discussions seront rafraîchissantes et colorées, ah ah, et puis vous savez, ainsi ça fera de la compagnie à Blanche, vous voyez ?
– Mais oui, merci beaucoup. Bon, je rentre, je vous souhaite une bonne journée Pauline.
– Bonne journée Monsieur Lécrivain, à demain.
Monsieur Lécrivain se dit que la journée allait être belle, après ce foutu rêve perdu de ce matin, il avait tout de même bien de la chance. Comme à son habitude, il se dirigea alors vers la boulangerie, cette boutique magique qui mettait tous ses sens en éveil.
– Bonjour M’ dame…
– Ah non Monsieur Lécrivain, vous le savez bien pourtant, on ne rentre pas dans un magasin d’alimentation avec son animal…
– Oup’s, pardon, j’étais dans la lune, vous avez raison… je vais mettre Mérope devant la porte, dehors, afin qu’il me voit tout de même.